Qui êtes vous Gérard Cambon ?

Plutôt que de me plonger dans des abîmes de perplexité métaphysique, je vous livre juste la description d’un journaliste: « il est massif et rustique mais derrière l’apparente bonhomie du personnage se cache un mystère ». Mes amis l’avaient tous apprise par cœur et se faisaient un plaisir de me le réciter en boucle.

D’où venez-vous ? Quel est votre parcours ?

Je suis autodidacte. Enfant, je griffonnais, je faisais des bateaux et des avions en bois, puis j’ai commencé à faire des collages et du modelage. J’ai découvert le papier mâché, réalisé des personnages très caricaturaux à la Daumier puis j’ai eu envie d’incorporer différents matériaux ; Petit à petit des assemblages se sont constitués, les personnages se sont intégrés dans un environnement toujours plus grand, j’ai souhaité créer des atmosphères.

– Comment êtes-vous devenu artiste ?

Disons qu’au début, il y a juste une envie, on ne se pose pas de question. Ensuite, il peut y avoir un engagement, une nécessité de faire, un besoin viscéral. Pour moi, il y a eu une vraie rupture qui a accéléré le processus : Par la suite, j’ai démultiplié mon activité. Depuis quelques années, la sculpture, c’est un exercice quotidien d’hygiène mentale. Mais cela peut aussi être terriblement obsédant et frustrant.

– Comment décrire votre œuvre ?

Je fais des assemblages. Je rassemble d’abord des choses qui n’ont pas vocation a être ensemble et je recherche la fusion des éléments. Ensuite, je crée des personnages et je les mets en scène…Je ne sais pas davantage parler de mon travail mais si cela vous inspire, je suis à l’écoute…

– Que représente votre atelier ? Comment est-il ?

Mon atelier, c’est ma maison… Avec divers espaces qui illustrent finalement le processus de fabrication : a l’entresol, la cave/ grotte avec tous les matériaux ou j’assemble mes pièces, au premier étage la salle de peinture et d’insertion des personnages, et aussi la salle de bain pour les enduits, au deuxième étage le dépôt de la pièce une fois terminée. le passage du 1erétage au 2eme est difficile : à un moment, il faut se forcer à se dire que la pièce est finie.

– Comment travaillez-vous ?

Je fabrique mes pièces par envie de faire. Je n’ai pas trouvé d’autres mots. C’est le désir qui me guide. C’est un plaisir égoïste : on est dans les profondeurs, on est absorbé, on oublie le temps. On explore, on trie et on assemble les idées, les matériaux. On doute. On teste. On coince. Et puis on remonte à la surface pour boire un café et on se relance, à la recherche d’ une trouvaille qui permet de s’engager, de continuer… Et puis il y a du travail d’assemblage, de fixation, beaucoup de travail ingrat, lent, invisible. C’est tout cela qui génère un environnement,. Celui-ci terminé, vient mise en scène des personnages qui définissent l’échelle et surtout introduisent la vie…et ça c’est un grand plaisir… et puis après, le début de la peinture, le début du doute et de l’insatisfaction: on a toujours peur de défaire ou de dénaturer … d’en faire trop. Trop de couleurs, pas assez de sens… surtout ne pas se caricaturer…A un moment, on se force à se dire que la pièce est finie. Et puis on passe à autre chose.

– Quelle est votre vie en dehors de votre travail d’artiste ?

Je corresponds assez peu à l’image que l’on se fait des artistes « singuliers ». Je suis socialement intégré, j’ai une vie réglée, des obligations. Je trouve dans ces relations sociales une bonne matière pour ma sculpture mais en revanche, j’ai toujours le sentiment, peut être une illusion, d’avoir plus d’idées que de temps pour les réaliser. Je rêve d’avoir du temps…

– Qu’aimez-vous suscitez quand on regarde votre œuvre ?

L’’imaginaire des gens. Je n’aime pas charger mes pièces d’un sens personnel, je veux qu’elles soient suffisamment « fluides » , non datées, non référencées pour que les gens s’approprient les pièces s’ils en ont envie… En un mot, ne pas diriger de force les gens vers mon imaginaire. J’aime quand on me dit « pour moi cela évoque telle chose ». Ca va de Topor et Brecht , aux« morts aux fenêtres » des Célèbes, a Mad Max pour mes locomobiles ! Cela peut aller très loin : une fois un visiteur était persuadé que je faisais référence à une scène précise d’une pièce de théâtre. Parfois, un bas-relief entraîne des sentiments très contradictoires, certains rient, d’autres trouvent cela sinistre… Je n’ai aucun jugement de valeur sur les références, les ressentis, c’est juste bien quand ça fonctionne comme ça…

– Qu’aimez-vous lire ?

Surtout la littérature Anglo saxonne: John Fante, Philip Roth , Paul Auster. Et puis, je citerai de manière très disparate, Primo Levi,, Laurent Gaudé, Suskind, Orwell, Murakami, Desproges, « l’intranquille » de Garouste, les bandes dessinées de Guy Delisle. Adolescent, j’ai du lire 3 ou 4 fois « Papillon » de Charrière. (…)

– Quels sont les peintres, les artistes que vous aimez ?

Tout d’abord Rebeyrolle, les assemblages de Yolande Fièvre, de Pincemin et de Louis Pons, les peintures vertigineuses du peintre Uruguayen Ignacio Itturia. Ensuite, les formidables bateaux délabrés de John Taylor, les petits personnages en bois, très poétiques, de Terry Turrell, les personnages illuminés de Chassepot, le trait magnifique de Bill Traylor, les photos de Robert et Shana Parke-Harrison et de Karl Blossfeldt. Et puis Barcello, Kiefer mais ce n’est pas très original. Enfin, je suis très impressionné par les œuvres de chair de Bacon, Rustin, de Lucian Freud mais il n’y a la aucune connexion avec mes envies et mes aptitudes…

– Que pensez vous de l’art actuel ?

J’essaie de cultiver mon inculture artistique ! J’ai un comportement un peu autiste, souvent, je ne me sens pas concerné (…) Mais, pour être honnête, c’est parfois un peu compliqué de s’abstraire. Je ne suis pas du tout hostile par principe aux artistes conceptuels, à la vidéo, par exemple, en revanche j’ai une méfiance maladive à l’égard de la verbalisation pour ce qui concerne les arts plastiques. Je n’y peux rien, cela me fait rire… Je traque le creux, le pseudo ésotérique, je dois avoir mauvais esprit … Finalement, je cherche ma trace sans trop me soucier des autres. Ce n’est pas de l’arrogance ni de l’aigreur c’est simplement suivre ses envies et se protéger un peu et cela ne m’empêche pas de cultiver des amitiés artistiques…

– Comment vous situez-vous dans le monde de l’art ?

Je ne me situe pas. Ce sont toujours les autres qui vous placent quelque part, qui vous mettent une étiquette, mais ce n’est pas très important. Aux Etats-Unis, les choses sont simples : je suis « un outsider ». En France, c’est plus compliqué, on est civilisé n’est ce pas? On parlera le plus souvent de « singulier », trop construit pour être assimilé à l’art brut, trop fantaisiste pour être expressionniste, bref trop ou pas assez, mais finalement, je crois que cela me plait assez. Pour tout vous dire, l’épure pour l’épure m’ennuie de plus en plus, et d’un autre côté, les bricolages-assemblages- bout de ficelles peuvent être épouvantables …

– Qu’est ce qui vous rend heureux ?

Disons momentanément heureux : les moments où le doute, qualité essentielle à mes yeux, est levé… On peut alors se projeter, foncer… Et puis l’énergie pour réaliser mes projets… un bon mot, gratuit, au bon moment , une fantaisie inattendue, un voyage…

– Qu’est ce qui vous rends malheureux ?

La désespérance du monde, la maladie, la misère, la solitude, mais comment dire cela sans que cela passe pour une platitude ? De manière générale, les gardiens du temple, religieux ou philosophiques, comme Finkielkraut, par exemple m’agacent . Comme tout comme ceux qui ont une réponse pour chaque chose, une vision globale, je ne sais pas comment il font… Et puis le sentiment d’être noyé dans une foule standardisée aux comportements pavloviens… auxquels je n’échappe pas toujours d’ailleurs…

– Quels sont vos rêves ?

Que mes petits bonshommes sortent enfin des bas-reliefs et des« locomobiles », prennent le pouvoir, conquièrent le monde… Et comme je suis leur créateur, devinez qui serait le chef suprême? Je pense avoir l’étoffe pour devenir un nouveau Kim Jong-il …

(Entretien réalisé avec Marie Morel)